PETITE HISTOIRE DES FORGERONS EN AFRIQUE
Le personnage mythique qui apporte la civilisation.
Les mythologies ont élevé le forgeron au rang de personnage mythique ou divin. Le thème de la forge et de la métallurgie, considérées comme des arts qui relèvent du sacré, se retrouve dans différentes traditions… Les fondeurs et les forgerons, grands maîtres du Feu et des Métaux, sont souvent redoutés : leur ouvrage implique un savoir initiatique, une signification cosmogonique, et un acte de création qui n’est pas sans dangers.
Le travail métallurgique se rattache souvent à des organisations initiatiques ou à des sociétés secrètes. Des confréries sont attestées dans la Grèce antique et dans les traditions anciennes en Chine et en Afrique.
En relation avec les initiations de métier et avec la puissance créatrice du Verbe, la symbolique de la forge renvoie aussi à la Parole ou au Chant. Dans son ensemble, le symbolisme du forgeron se rattache à celui du démiurge qui façonne ou forge le monde ou à un être mythique qui participe à la création du cosmos…
Dans beaucoup de cultures ancestrales ou traditionnelles, ceux qui travaillent les métaux ont souvent un statut particulier dans la société. Forge et forgeron sont étroitement liés à la puissance du feu souterrain et aux entrailles de la terre d’où proviennent les minerais.
Cette activité implique un aspect dangereux voire infernal ou maléfique. La participation symbolique à l’œuvre cosmogonique inspire la peur et les risques sont grands en cas de non qualification.
Chez les Dogon, le dieu créateur Amma forma le premier forgeron à partir du sang et du cordon ombilical du Nommo qu'il avait sacrifié. C'est pourquoi l'Ancêtre Éponyme des forgerons Dogon appartient à la génération dite « des ancêtres », fait qui explique leur position éminente. Ils forment un groupe endogame à part.
Partout la puissance du forgeron est ambivalente, perçue comme bénéfique ou maléfique: ils peuvent occuper une position exceptionnelle ou se retrouver exclus de la vie sociale, être craints ou rejetés voire méprisés.
En Afrique
Au 13 ème siècle l'Empire Mandingue qui s'étendait de la Guinée (son berceau) aux frontières Tchadiennes, englobait l'actuel Mali, le sud du Sénégal, une partie du Burkina-Faso, le nord de la Cote d'Ivoire, du Ghana et une partie du sud-est Mauritanien. Cet empire s'organisait en castes et chacune correspondait à une profession ou à une activité artisanale: griots, forgerons, tisserands, pêcheurs esclaves etc... (Les esclaves et les castes ne relèvent pas de la même catégorie, esclave est un statut juridique défini par la propriété, tandis que les castes, ou plus exactement les artisans spécialisés endogames, relèvent d’une catégorie sociale. Les esclaves sont les descendants des prisonniers de guerre et portent le nom de leur maître.) Plus on remonte en Afrique du Nord, plus rares sont les familles de forgerons.
Nobles, griots, forgerons et esclaves, les castes africaines perdurent dans l’Ouest du continent; elles sont le fait de différenciations basées sur la spécialisation de la profession. La ségrégation des castes, la stratification de la société africaine persistent à l’heure actuelle, spécialement en milieu rural et il reste presque impossible pour les Keita, Coulibaly, Ba ou autres familles nobles d’épouser par exemple des Fane, Koumare, Balo ou Thiam forgerons. Chez les Malinké, s’il faut nommer des forgerons, on cite les Kante, les Sinaba ou les Cissoko.
En Guinée, les castes de forgerons portent le nom de « waylube », un forgeron étant toujours appelé « bayillo » Untel. Cette caste est nettement hiérarchisée. Dans toutes les cérémonies, prières et sacrifices sont effectués par un forgeron chef dont la fonction est héréditaire.
Surtout en Afrique sub-saharienne les forgerons sont toujours craints. Dans les sociétés paysannes ils jouent un rôle important car ils produisent les instruments agraires et, dans les sociétés en expansion, les armes pour la guerre.
Le forgeron africain peut être le médiateur et le pacificateur entre le monde des vivants et le monde des morts et entre les membres de la communauté. Selon certaines traditions en Afrique, le forgeron est assimilé au démiurge, à celui qui a apporté les semences originelles. Le forgeron apporte aussi à l’humanité la civilisation, les arts et les techniques.
Chez les Dogons, le forgeron descend sur terre et se brise les articulations, (il est souvent représenté boiteux), mais grâce à son arche il apporte avec lui les techniques et les graines des hommes et des animaux. Il fabrique la houe utile aux travaux agricoles et des armes pour les chasseurs et les guerriers.
Comme il ne pratique pas l'agriculture, il restera dépendant tout au long de sa vie.
Souvent, le forgeron Dogon assume également la fonction du devin.
Madou le forgeron
Forgeron et Potière réactualisent symboliquement la création du monde
Plusieurs sortes d'artisans appartiennent aussi à la caste des forgerons: les bijoutiers, les menuisiers, potiers et potières, teinturières.
Les forgerons sont d’une grande polyvalence. Ils fabriquent beaucoup d’outils agricoles et d’armes comme des couteaux, des poignards et des haches, mais aussi des bijoux, surtout des bagues, des bracelets et des pendentifs. Ils façonnent également des objets rituels, des figurines votives à représentations animales, particulièrement ceux qui font référence à la mythologie Sénoufo (Sud mali, Côte d’Ivoire…). Ces objets prennent alors la forme de petites statuettes anthropomorphes et hermaphrodites qui expriment la double force des artisans: le feu et la terre, ou bien de masques, fabriqués lors de cérémonies initiatiques.
Il est le seul capable de sculpter les images des ancêtres et des génies, les effigies vouées aux cultes des esprits et aux rites d’initiation. Il peut être aussi le grand maître de l’initiation, il façonne aussi des objets rituels comme des autels : un labeur qui réactualise la création cosmogonique. L’art de travailler le fer ou le métal participe parfois du secret royal ou sacerdotal.
Dans les chefferies Touareg, le forgeron peut remplir les plus hautes fonctions politiques. L’art de travailler le fer y est considéré comme secret royal. Les forgerons sont souvent choisis comme premiers ministres par les chefs Touareg.
forgerons Touaregs
Les artisans forgerons ont leur renommée, ils fabriquent d’ailleurs une multitude d’outils agricoles. Certains groupes d’artisans ont une plus grande renommée que ceux d’un autre village et leurs productions en dépassent les frontières.
Une place importante est donnée au travail artisanal et en particulier au couple forgeron-potière, car dans chaque village, les forgerons forment un clan. Ainsi, toute femme de forgeron ou issue d’un clan de forgeron fabrique des poteries et participe par son ouvrage de façonnage à l’œuvre créatrice. Cependant le métier de la forge est réservé aux hommes, alors que celui de la poterie est réservé aux femmes: elles jouent alors un rôle essentiel au sein du noyau familial, tandis que les hommes jouent un rôle plus déterminant sur le plan financier.
La potière potière au Burkina
Le travail d’artisan forgeron est plus divisé que le travail des femmes et chaque fondeur a sa spécialité. Malheureusement, parfois leur production artisanale ne suffit pas à les faire vivre, et ils sont à la fois forgerons, sculpteurs de bois et cultivateurs.
Ces trois disciplines cohabitent dans un même quartier, dans un même lieu communautaire, dans un même atelier de forge.
La forge
La forge fut en Afrique, l’un des plus anciens sanctuaires où l’homme ait adoré un dieu, par le truchement du feu de la forge. En bambara, ce foyer se nomme « fan », qui signifie « œuf » et par extension « l’œuf du monde.
Comme le métier à tisser, chaque élément de la forge est un symbole sacré d’un des aspects de la Force créatrice : le soufflet, qui s’introduit dans le foyer, représente le principe masculin transmettant la vie sous forme de souffle, le foyer animé par ce souffle étant ici le principe féminin. L’enclume, jadis traditionnellement de forme ronde ou ovale, représente la matrice, tandis que la masse symbolise l’organe mâle.
Soufflet ancien. À poser à plat : le forgeron actionne les deux bâtons dont la base en cuir souple produira l'air
En relation avec le Feu souterrain, gardien certainement de trésors cachés, les forgerons ont une activité qui s’apparente à de la magie ou de la sorcellerie ; s’il joue un rôle essentiel dans la vie spirituelle, culturelle et sociale de la communauté, l’ouvrage du forgeron s’accompagne le plus souvent d’interdits sexuels, de rituels de purification et de rites de protections. Il sera dans la vie sociale, le pacificateur ou le médiateur de la société mais aussi entre le monde des morts et celui des vivants; envers lui les attitudes seront ambiguës: plus il est redouté et plus il est exclu de la communauté: le forgeron africain réside en général à l’écart du village ou dans un lieu qui lui est exclusivement réservé.
Presque toujours, les forgerons et leurs femmes sont aussi circonciseurs ou exciseuses.
Actuellement, beaucoup de forgerons n'exercent leur métier qu'en saison sèche; ils sont devenus cultivateurs et consacrent une partie de leur temps à remplir leurs propres greniers.
Leur cimetière est situé à l'ouest du cimetière musulman (les vents soufflent presque toujours de l'est)